Photo prise hier au cimetière de Saint-Pierre.
Il était l'un de mes deux grands frères. Celui de qui j'étais le plus près, tant géographiquement que par affinités.
A l'époque où je vivais à Montréal, puis dans les Laurentides, je lui rendais visite fréquemment. Je me sentais chez-moi, chez-lui. Il m'accueillait toujours avec un plaisir évident. Malgré les années, je n'ai pas oublié sa voix, ses traits, le sourire dans ses yeux, son physique tout en minceur. Et que sa moustache me piquait lorsqu'il m'embrassait pour m'accueillir ou pour me dire aurevoir.
Avec lui je pouvais aborder n'importe quel sujet. Nous parlions de la vie, de nos rêves, de nos souvenirs d'enfance. Du regret aussi que ses fils n'aient pu connaître la ferme familiale, celle de ma mère. Il avait un coeur grand comme ça. Il était toujours prêt à rendre service.
Mon grand frère était un homme sensible, doux et il était fou de sa petite famille. De ses deux p'tits gars avec lesquels il aimait faire des "batailles" dans le salon. Et de sa femme dont il était très amoureux.
Lorsque je partis vivre en Estrie, nous nous vîmes moins souvent. En pré-démarrage de mon entreprise, les semaines, puis les mois se mirent à défiler de plus en plus vite. On se téléphonait de temps à autre mais, au bout du fil, les discussions étaient moins profondes; on s'en tenait au quotidien.
La dernière fois que je lui parlai, fut le 15 avril 1993. C'était l'anniversaire de ma belle-soeur, son épouse. C'est lui qui répondit au téléphone. Il ne semblait guère en forme. Il était même d'humeur sombre. Mais je ne m'en formalisai pas; ça peut arriver, me suis-je dit....
Et pourtant ... le 2 mai suivant je reçu un coup de fil comme un coup de poignard au coeur. Je connus le plus grand chagrin de ma vie... Mon grand frère, celui que j'admirais, que j'aimais, n'était plus. Il s'était suicidé.
C'est à ce moment seulement que j'appris qu'il était sur le point de se séparer de son épouse. Il ne m'en avait pas parlé. Il avait demandé à ma belle-soeur de garder le secret, préférant souffrir en silence parce que pour lui, c'était un échec, la fin de son existence. Il s'était donné la mort parce qu'il ne pouvait envisager de vivre sans sa femme et ses enfants. Rien n'avait plus aucun sens pour lui. Dans son grand chagrin, il était persuadé que ses deux p'tits hommes l'oublieraient rapidement et qu'à 45 ans, il était trop vieux pour refaire sa vie.
Il souffrait de dépression depuis quelques mois. On me dit qu'il avait beaucoup maigri. Lui qui était déjà très mince, n'avait plus que la peau sur les os. Mais tout ça, je le su trop tard... beaucoup trop tard.
Quinze ans ont passé et le vide causé par sa disparition n'a pas été comblé. Au fil des ans, mon coeur s'est cicatrisé mais il suffit que je pense à tout ce qu'il ne connaîtra pas, à tout ce que nous ne pourrons plus partager pour que cette blessure me fasse mal à nouveau.
Il ne saura jamais combien il nous manque à tous, surtout à ma vieille maman. Il n'aura pas vu mon entreprise croître, sa petite soeur devenir designer. Ni son petit frère être à son tour papa, de deux adorables fillettes. Il ne saura pas que son grand frère à lui, a trouvé le bonheur à l'autre bout du Canada. Que sa soeur cadette, celle qui a partagé ses jeux d'enfant, pourra dans quelques semaines profiter enfin de la vie, dans son Angleterre d'adoption. Pas plus qu'il n'aura partagé notre chagrin lorsque papa nous a quittés en 1998.
Ce grand frère que j'ai tant aimé, ne se réjouira jamais de voir ses deux garçons devenir des hommes. Des bons gars. Des beaux gars. Il ne pourra constater à quel point le cadet lui ressemble. Ni apprendre qu'il serait grand père pour la première fois l'automne prochain puisque son aîné sera lui même papa.
Jamais il ne saura que son souvenir est resté bien vivant dans nos coeurs. Et que loin de l'avoir oublié, ses fils pensent à lui souvent. Que le plus vieux, tel un talisman, conserve précieusement sa photo dans son portefeuille; il me l'a montrée l'été dernier...
Non, il ne saura jamais. Et quand j'y pense, ça me fait tellement de chagrin...
SVP: Si un de vos proches ou un de vos amis montre des signes de dépression, sonnez l'alarme. Resserrez les liens et osez en discuter avec lui. Ne sous-estimez pas cette maladie... parce qu'un jour, il pourrait être trop tard.