«Tu vois, elle te va comme un gant!», dis-je à l’homme vêtu de ma robe de chambre jaune poussin, posté devant ma cuisinière.
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Cette histoire avait commencé beaucoup plus tôt, ce dernier vendredi au milieu de l’après-midi. Alors que j’étais au téléphone avec mon ami Vieux-Dan, j’avais vu une camionnette se stationner devant chez moi.
«Salut, je m’en vais faire une randonnée sur le Mont-Habitant, t’as envie de venir?» m’avait demandé CC, nouvelle connaissance et habitué du Bistro-Inter-Café où j’aime aller bouquiner, à qui j’avais confié, il y a quelques semaines, mon désir de fouler des sentiers inconnus. C’est donc vers 15h30 que je disais au revoir à une Mimi-Fée regrettant visiblement de ne pas être conviée, elle aussi, à se perdre dans les bois.
CC avait stationné son véhicule tout près de l’endroit où débutait le sentier. La température était douce et, malgré le ciel nuageux, il y avait une belle lumière qui pénétrait dans la forêt. J'avais immédiatement regretté de ne pas avoir apporté ma caméra. Le long de la piste, de gros rochers recouverts de mousse d’un vert inimaginable nous frôlaient, de drôles de champignons qui colonisaient des troncs morts se rendaient intéressants et de robustes Inuksuit montaient la garde. Dame Nature avait fait du beau travail, c’était grandiose et je n’étais hélas pas en mesure de l’immortaliser…
À mi-pente, une pancarte nous avait indiqué qu’il fallait bifurquer à gauche; à droite, à travers les taillis, on avait aperçu le toit de quelques maisons d’un nouveau développement. CC, qui connaissait ce sentier pour l’avoir emprunté l’hiver dernier, avait pris les devants et me guidait.
Outre les racines et les pierres, il fallait prendre garde où on posait les pieds; après la pluie des derniers jours, la piste était glissante et j'avais bien vite regretté de ne pas m’être munie d’un de mes nouveaux bâtons de marche.
Au bout d’une demi-heure, après avoir contourné une longue paroi moussue, nous avions atteint un sommet où s’arrêtait le sentier. CC avait repris son souffle, forçant au repos sa langue habituellement bien pendue. La paix qui régnait tout là haut faisait contraste avec l’effervescence du centre-ville de Saint-Sauveur pendant les week-ends automnaux. Le silence, à peine égratigné par la rumeur de la circulation sur la Principale tout en bas, était la plus douce des musiques. Même les oiseaux semblaient être occupés ailleurs. Ç’aurait été un bel endroit pour casser la croute, ce qui me fit regretter de ne pas avoir glissé dans mon sac des noix, des pommes, un morceau de fromage et un bout de baguette.
Après être redescendus, nous étions arrivés à une intersection. Deux choix s’offraient à nous : poursuivre sur le même sentier ou emprunter celui qui avait été baptisé «Nomade».
«J’ne connais pas le Nomade; l’hiver dernier lorsque j’suis venu, j’ai suivi celui-ci», m'avait dit CC. La lumière était encore belle et la piste inconnue semblait nous inviter à l’emprunter, ce que nous avons fait d’un pas léger.
Dessinés pour éviter la monotonie, les sentiers du Mont-Habitant sinuent, font des boucles, serpentent en descendant, se contorsionnent en montant, bref, ils sont des plus attrayants. Après avoir suivi le Nomade pendant près d’une heure, nous étions arrivés près ce qui fut un marécage. Une certaine beauté se dégageait de cette petite vallée enclavée entre deux versants. Des individus graves et fiers dans la mort se dressaient encore. À leur pied, des troncs émergeaient du sol tourmenté, exhibant leur extrémité taillée en pointe, preuve irréfutable que des castors y avaient besogné fort jadis.
«Il commence à se faire tard » m'avait annoncé CC en jetant un œil sur le ciel grisonnant. «Vaudrait mieux faire demi-tour si on ne veut pas se faire surprendre par la noirceur».
Nous avions donc repris le sentier à rebours, mon guide hésitant à peine aux embranchements. Nous marchions depuis plusieurs minutes lorsque je lui avais confié:
«Mon problème, lorsque je vais en forêt, c’est que j’oublie d’enregistrer des repères visuels. Ainsi, lorsque je fais le trajet en sens inverse, j’ai souvent l’impression de ne jamais être passée par là…».
En réalité, mon sentiment de «jamais-vu» ne m’avait pas trompée : par mégarde, nous avions emprunté un sentier différent. C’est lorsque nous avons réalisé que nous tournions le dos au bruit de la circulation et que la piste semblait monter alors qu’elle aurait dû descendre, que nous avons décidé de revenir sur nos pas. «Devrais-je commencer à regretter de ne pas avoir apporté un chandail plus chaud?», avais-je songé lorsqu’une petite brume s'était mis à s’élever du sol, flottant autour de nous.
Le ciel s’assombrissait de plus en plus et nous marchions d’un bon pas, évitant les racines traitresses, contournant les flaques boueuses, pressés de retrouver le premier panneau indicateur et la vue rassurante des maisons construites à flanc de montagne.
«On est chanceux, au moins il ne pleut pas!», avait déclaré CC, tant pour faire la conversation que pour me rassurer.
S’il avait semblé facile, à l’aller, de prendre la bonne direction, au retour devant une intersection que je ne me souvenais pas d’avoir vue, CC avait hésité. À gauche? À droite? Unanimement, nous avions choisi le sentier de gauche… pour refaire le trajet inverse quinze minutes plus tard après avoir eu l’impression, encore une fois, de tourner dos à la ville.
Entre-temps, le ciel s’était encore obscurci et nous avions dû ralentir le pas, voyant de moins en moins où nous les mettions. Bientôt, cependant, on avait pu distinguer la lumière des maisons qui filtrait à travers les arbres, au loin. Ouf… jamais lueur ne m'avait semblé si accueillante… En outre, cela nous indiquait que nous étions presque rendus au dernier embranchement qui allait nous conduire jusqu’à la rue.
«Tiens, il est là! C’est le panneau!» m'avait dit CC du ton de celui qui, depuis le début, sait que nous étions dans la bonne direction. «On est presque arrivés!». À peine avait-il terminé sa phrase que les premières gouttes de pluie, perçant le toit végétal, s'étaient mises à nous tomber dessus. Oui, vous avez deviné… je regrettais ne pas avoir songé à apporter un imperméable.
Nous marchions depuis dix minutes lorsque, devant moi, CC s’était exclamé : «J’aurais dû apporter une lampe de poche, je ne vois plus rien!», un soupçon de regret dans la voix. «Oups…», avait-il ajouté avant de s’arrêter net, «On a perdu le sentier…».
«OK! Il fait trop noir, on essaie de retourner sur nos pas jusqu’au panneau indicateur plus haut et ensuite on se dirige droit sur les maisons, quitte à devoir abandonner la piste! », avais-je affirmé en prenant les devants.
Plusieurs minutes de tâtonnement plus tard, nous avions débouché dans le jardin d’une maison où de réconfortantes lumières plantées dans la pelouse nous avaient indiqué la direction à prendre pour retrouver le bon vieux bitume. C’est un crachin tiède qui nous tombait dessus tandis que nous nous demandions, où diable nous avions atterri.
«J’ai un imper dans mon sac, tu le veux?», m'avait demandé CC pendant que nous marchions au beau milieu de la rue déserte.
«Non, merci, ça ira», lui avais-je répondu. Lorsque la pluie s'était mise à tomber dru et que tout effort de coquetterie me sembla vain, j'avais changé d’idée et endossé l’imperméable de CC qui me couvrait jusqu’aux genoux.
Quelques minutes plus tard, c’est un monsieur méfiant en robe de chambre qui m’avait ouvert sa porte. Après lui avoir appris que nous nous étions un peu égarés en montagne, je lui avais demandé quelle direction nous devions prendre pour retrouver la rue de la Colline et la camionnette de CC qui y était garée.
«De la Colline? J’sais pas où c’est!», avait-il répondu.
«Ah… La rue Principale, alors?» avais-je demandé, un peu lasse.
«Oh! C’est assez loin! Prenez à droite, descendez jusqu’au bout puis tournez à gauche; vous allez arriver à la Principale. Mais, c’est pas mal loin», avait-il ajouté, avant de nous souhaiter bonne chance.
Nous avions marché ainsi une vingtaine de minutes sous la pluie, frôlant les fossés lorsque des voitures venaient dans notre direction. Puis… elle fut là, la rue de la Colline.
«Il ne manquerait plus qu’une chose», avais-je dit à CC alors que nous avancions au milieu de la route non éclairée.
«Quoi?»
«Qu’on ait remorqué ta camionnette!».
Par chance, elle était encore là, à nous attendre dans la nuit noire. Lorsque CC avait démarré le moteur, l’horloge indiquait 20h15. Nous avions passé plus de quatre heures à marcher en forêt. Si nous étions vraiment heureux d’être enfin à l’abri, nous étions aussi drôlement trempés, un peu crevés et très très affamés.
«Allez, monsieur l’Égareur des bois ! Je t’invite à souper; tu pourras mettre tes vêtements dans la sécheuse pendant que je préparerai des pâtes».
Mon guide n'avait pas protesté et c'est la raison pour laquelle, aux environs de 21h00 vendredi soir, vous auriez pu voir dans ma cuisine un homme drapé dans une mignonne robe de chambre jaune parsemée de nounours cosmonautes, occupé à surveiller la sauce à spaghetti pendant que je me faisais sécher les cheveux.
Ah, et puis… c'est trop tentant! Vous n'aurez rien manqué!