mardi 10 mars 2009

Un amour affranchi… 6e partie


Éva marchait lentement. Autour d’elle, un champ de marguerites s’étendait à perte de vue. Sur leur longue tige souple, les fleurs dansaient au rythme de la brise qui les faisait osciller. Tel un océan, des vagues blanches piquetées d’or ondulaient, caressant les mollets de la jeune femme. Lorsqu’Éva voulut en cueillir une et que ses doigts effleurèrent le capitule, la marguerite se mit à tinter. Bientôt, d’autres fleurs carillonnèrent à leur tour, transformant le doux silence en un tintamarre assourdissant…

Éva se redressa vivement dans son lit, pantelante. Un coup d’œil à son réveil lui apprit qu’il n’était pas tout à fait 4 h du matin. Les sonneries qui l’avaient arrachée à son rêve reprirent de plus belle. La jeune femme s’extirpa des couvertures et, d’un pas incertain, longea le corridor qui menait au salon; en passant devant le guéridon de l’entrée, elle ouvrit son sac à main et saisit son cellulaire.

- Un instant je vous prie. Murmura Éva dans le combiné.

- Allo? Fit-elle, en plaquant le portable sur son oreille droite.

- Éva? Je suis désolée de te réveiller, dit une voix de femme. Tu peux fermer ton cellulaire, c’est moi qui t’attends sur ta ligne fixe.

- Loulou? C’est toi? Mais que se passe-t-il? Il est arrivé quelque chose de grave? Tu vas bien?

- Oh, Éva. C’est Maman. Elle ne va pas bien du tout. Elle… elle a fait un… un infarctus…

- Non… réussit à articuler Éva.

- Éva… le médecin a dit que… que... La fin de la phrase se noya dans les sanglots.

- Ma Loulou, je suis là. Attends-moi, j’arrive. Je crois qu’il y a un avion à 6 h. J’ai encore le temps de l’attraper. D’accord? Je serai là au plus tard vers 9 h. Je prendrai un taxi et je me rendrai directement à l’hôpital.

- Je t’attends, murmura Loulou. Fais vite, je t’en prie.

Dans un état second, Éva jeta quelques vêtements dans un sac de voyage. Elle se passa un peu d’eau sur le visage et noua ses boucles rousses en queue de cheval avant d’enfiler un jean et un corsage léger. Elle s’apprêtait à sortir lorsqu’elle revint sur ses pas. Oscar tournait autour de son écuelle vide en miaulant. Éva lui versa plusieurs portions de moulée et ajouta un second bol rempli d’eau. Elle fit une dernière caresse à son chat et referma vivement la porte.

L’aurore affichait ses demi-teintes et, à l’horizon, une fine ligne rose annonçait que le jour allait bientôt se lever. Éva fut soulagée de trouver la route déserte. Au fil des kilomètres engloutis à une vitesse dépassant largement celle permise, des images lui revenaient. Elle revoyait Laure, sa tante bien aimée, celle qui avait tenu le rôle de mère après que la sienne eut disparu dans un bête mais fatal accident de voiture; celle qui était allée la chercher à l’école et qui avait trouvé les mots pour annoncer à la petite fille de 7 ans qu’était alors Éva, que son papa et sa maman ne reviendraient jamais plus.

Éva avait grandi au milieu de cousins et de cousines qui étaient devenus ses frères et sœurs, lorsque son oncle et sa tante l’avaient adoptée. Elle n’arrivait pas à imaginer que sa mère adoptive puisse ainsi disparaître sans qu’elle n’ait pu lui dire au revoir, sans qu’une dernière fois elle n'ait pu la remercier pour la vie qu’elle lui avait offerte, pour l’amour qu’elle lui avait donné.

Des larmes silencieuses jaillirent, sans pour autant soulager le chagrin qui broyait le cœur d’Éva.

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