lundi 23 mars 2009

Un amour affranchi ... 10e partie


- Tu as fait quoi?

Laurence était estomaqué.

-Mélanie, pourquoi as-tu fait ça? De quoi vais-je avoir l’air maintenant? Elle va croire que je t’ai demandé d’aller lui parler.

Il ne savait plus que dire. Comment Mélanie avait-elle pu lui faire cela? Éva le prendrait pour un pleutre, un incapable qui doit recourir à une amie pour plaider sa cause.

- Écoute Mélanie, j’ai besoin de réfléchir à tout ça. Non, je ne t’en veux pas. Mais j’aurais préféré que tu ne t’en mêles pas. Oui… je te rappelle.

Laurence raccrocha un peu brusquement. Mais qu’avait-elle eu besoin d’aller parler à Éva? Il savait bien que cela partait d’une bonne intention et qu’elle ne voulait pas lui nuire. Mais il pressentait qu’au contraire, Mélanie avait irrémédiablement gâché ses dernières chances qu’il avait de se racheter.

Il avait besoin de prendre l’air, il avait l’impression de suffoquer. Laurence sortit dans la tiédeur de cette fin d’après-midi automnale. Instinctivement, il se dirigea vers le boisé, ses pas le guidant sur le sentier de son enfance. Il se souvint du plaisir qu’il avait eu à grimper aux arbres, à construire des cabanes de branchage et à pêcher dans le ruisseau qui, à cette époque lui semblait aussi large qu’une rivière.

Il ralentit le pas et s’adossa au grand saule qui poussait près de la piste. Le sous-bois était saturé du parfum des feuilles en décomposition et de la résine des arbres. Ses pensées s’envolèrent vers cette femme qu’il n’arrivait pas à oublier. Il revoyait sa chevelure cuivrée, ses traits fins et sa silhouette élancée. La première fois qu’il l’avait aperçue, c’était peu après son retour au pays. Il était attablé dans un café avec son père. C’était tôt le matin et le ciel sans nuage annonçait une journée particulièrement chaude. À la radio, on avait repassé un vieux succès de la star italienne Eros Ramazzotti qui chantait avec Tina Turner. Il se rappelait encore du frisson qu’il avait ressenti lorsque le duo avait hurlé « I just can’t stop thinking of you ». Laurence s’en souvenait parce que c’était exactement à ce moment qu’Éva était apparue de l’autre côté de la rue… Il avait été subjugué par sa démarche, par son allure féline. À partir de ce jour, il l’avait croisée à maintes reprises, comme si la vie s’entêtait à la placer sur sa route.

Comme des feuilles sous le vent, les pensées de Laurence s’envolèrent et ce sont des images moins heureuses qui vinrent flotter dans son esprit. Il revit le regard d’Éva, surpris et déçu, lorsqu’elle avait été témoin du baiser qu’il avait échangé avec Mélanie, la nuit où le hasard s’était amusé à jouer les trouble-fêtes.

Comment avait-il pu être bête au point de croire qu’Éva allait répondre sans tarder à sa lettre alors qu’il était resté dans le vague, préférant écrire ses initiales plutôt que de révéler immédiatement son identité. Quel prétentieux il avait été. Croyait-il que dès qu’il souriait à une jolie femme, elle s’empressait de faire une enquête pour savoir qui il était? Si au moins il avait su qu’elle s’était absentée plusieurs jours, peut-être aurait-il été plus patient? Au lieu de cela, il était passé à un cheveu de choisir Mélanie alors qu’il ne rêvait que d’Éva.

Laurence se remit en marche et bientôt il atteignit la clairière que traversait le ruisseau de son enfance. Comme il le faisait jadis, alors qu’il n’était encore qu’un petit garçon, il s’assit sur la grosse pierre plate qui était là depuis toujours. Longtemps, il regarda l’eau glisser sur les pierres moussues et se laissa bercer par son murmure apaisant.

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- Oups! Lâcha Mélanie. Il semblait que Laurence n’avait pas du tout apprécié son intervention auprès d’Éva. Malgré tout, elle ne s’en faisait pas; il ne lui tiendrait pas rigueur de son initiative. Au fil de leurs rencontres, elle avait appris à le connaître et il n’était pas homme à lui en vouloir pour si peu.

Dès qu’elle l’avait revu, à son retour au pays, Mélanie était tombée sous le charme de Laurence. Les années l’avaient rendu encore plus séduisant. Grand et mince, il avait la taille fine et de solides épaules. Avec sa tignasse brune et bouclée que lui enviaient ses amis, il ne passait pas inaperçu. Outre ses atouts physiques, Mélanie percevait chez lui une force et une sérénité qui ne la laissaient pas indifférente. Son assurance bien dosée, son humilité et son sens de l’humour en faisaient un compagnon agréable.

Au départ, si elle s’était sentie rejetée, Mélanie se félicitait maintenant de s’être liée d’amitié avec Laurence. Avec lui, elle pouvait discuter de tous les sujets; elle aimait aussi sa façon de la taquiner, même lorsqu’il évoquait ses conquêtes qu’il qualifiait de considérables et d’éphémères.

Mélanie n’était pas jalouse. D’ailleurs, elle comprenait que Laurence ait été attiré par Éva. Intuitivement, elle sentait qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. C’était d’ailleurs ce qui l’avait poussée, ce matin même, à jouer les entremetteuses.

Elle jeta un coup d’œil à sa montre. Il était près de 18h. Ce soir, elle sortirait sans Laurence; d'ailleurs, il valait mieux qu’elle se fasse oublier pour un moment. Qui sait, peut-être se déciderait-il enfin à parler à Éva? Ou du moins à lui téléphoner ou encore à lui écrire. Il était assez grand pour savoir ce qu’il avait à faire. Pour sa part, elle avait d’autres chats à fouetter. Notamment, ce beau spécimen d’homo sapiens qu’elle avait aperçu au gym. Une enquête discrète lui avait appris qu’il s’agissait du propriétaire de la nouvelle galerie d’art qui allait ouvrir ses portes la semaine suivante. Ses sources, par ailleurs très sures, lui avaient confirmé qu’il était célibataire, qu’il avait la garde de sa fille âgée de 15 ans une fin de semaine sur deux et qu’il était certifié 100% hétérosexuel.

C’est le cœur léger que Mélanie retoucha son maquillage et qu’elle enfila cette petite robe bleue qui, elle le savait, faisait tourner toutes les têtes

- Voyons voir… dit Mélanie, s’adressant à son reflet dans le miroir. C’est vendredi et il fait un temps magnifique. Que pourrait faire d’autre un galeriste nouvellement arrivé dans le coin, que d’aller prendre le pouls de sa future clientèle sur la terrasse la plus populaire en ville?

Vous ne serez pas étonnés d’apprendre, chers lecteurs, que, bien avant la tombée de la nuit, Mélanie avait déjà reçu une invitation pour l’inauguration de la galerie d’art et ce, des mains mêmes d’un galeriste totalement obnubilé…

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La journée avait été longue. Éva avait rencontré quatre clients et tenté de terminer un dossier de contre-offre pour une des propriétés qu’on lui avait confiée. Elle avait eu du mal à se concentrer, se repassant en boucle la conversation qu’elle avait eue le matin même avec Mélanie. Cela s’était passé si rapidement qu’elle avait l’impression d’avoir rêvé ou imaginé tout ça.

Depuis des semaines, Éva s’était faite à l’idée que Laurence et Mélanie se fréquentaient. Dans les petits patelins, les rumeurs se propagent à la vitesse grand V et elle avait entendu des collègues de travail prétendre que la croqueuse d’hommes avait fait une nouvelle victime. Jamais elle n’avait songé qu’ils pouvaient n’être que des amis.

Qu’allait-elle faire maintenant? Se demandait Éva. Est-ce que Mélanie avait dit vrai? Si oui, pourquoi Laurence n’était-il pas venu lui parler lui-même? Devait-elle provoquer une rencontre? Mais comment? Où? Et si elle lui écrivait? A moins qu’elle …

- Éva! Hou! Hou! Tu es dans la lune ou quoi? Dit une voix qui venait de l’embrasure de la porte.

- Oh! Pardonne-moi Julie, j’avais l’esprit ailleurs.

- Comme il fait beau, on a décidé, tout le monde, d’aller prendre un verre sur une terrasse. Tu viens avec nous? Profites-en, le boss a promis une tournée!

- Un verre? Sur une terrasse? C’est gentil. Mais non, désolée, je suis vraiment crevée et j’ai envie de rentrer. Une autre fois, promis.

- Tu es sûre que tu vas bien toi? T’as un drôle d’air!

- Oui, je t’assure. J’ai trouvé la semaine difficile. Allez, je file, on se reverra lundi!

Et c’est ainsi qu’Éva prit la direction de sa maison. Elle savait qu’elle aurait dû accepter l’invitation, mais elle préférait se retrouver seule. Elle avait besoin de réfléchir.

En arrivant chez elle, elle enfila son vieux jean et un chemisier qui avait connu de meilleurs jours. Un instant plus tard, elle ressortait dans le jardin sous un soleil encore chaud. Par réflexe, elle se dirigea vers le sentier qui, au bout du terrain, s’allongeait et serpentait sous les arbres.

Comme elle aimait le parfum de l’automne, ses coloris et le bruit des feuilles mortes sous ses pas. Elle s’arrêta un instant, savourant la quiétude du sous-bois. Tout était si calme; des mésanges voletaient d’arbre en arbre en pépiant, leurs chants se répercutant dans la forêt silencieuse.

Éva entendit la rumeur du ruisseau avant de l’atteindre. Il y avait un moment qu’elle n’était venue méditer à ses abords. Il lui arrivait d’y passer de longues minutes, sans rien faire d’autre que de s’abimer dans la contemplation de l’eau en mouvement. Elle se délestait alors de ses soucis et de ses peurs, que le courant emportait bien loin. Le murmure de la cascatelle bondissant sur son lit de pierres, finissait toujours par la réconforter.

Elle venait de s’asseoir dans l’herbe lorsque soudain, elle perçut un mouvement sur l’autre rive, à quelques mètres à peine. Elle se releva d’un bond et s’apprêtait à faire demi-tour lorsque …

-Ne partez pas… Éva, attends… s’il te plait.

Le cœur battant, Éva s’immobilisa.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Votre plume me rend impatiente, j'ai toujours hâte de vous lire! De le Bonne Amie G. de Fitzsou. Vous avec beaucoup de talent, continuez dans la même veine!

Fitzsou, l'ange-aérien a dit…

...et je suis entièrement d'accord avec le commentaire de ma Bonne Amie G....
La seule critique serait que tu t'es couchée bien tard pour publier ce texte...si je me fie à l'heure de publication...
Il ne faudrait pas que je retrouve ma Bonne Fée complètement féé...tiguée (pour employer tes jeux de mots...)

Sally Fée a dit…

@ Bonne Amie G.,

Merci sincèrement pour ce commentaire. C'est vraiment agréable d'apprendre que des gens de mon Abitibi natale prennent le temps, et plaisir, à visiter cet univers virtuel qu'est mon blog.

Bienvenue chez moi!

Sally Fée

Sally Fée a dit…

@ Mon Ange...

Euh, oui, je m'en confesse. Je me suis couchée presque aussi tard qu'à l'époque du Tony ou de la soirée des dames au Château!!!

Mais bon, j'étais tellement concentrée et comme je savais que les prochains jours seraient "giga-occupés", je me suis laissée porter par ma plume jusqu'aux petites heures du matin.

Et puis, non, tu ne peux pas te fier à l'heure de publication car... mon ordi affiche 30 minutes plus tôt (??). Il était donc 3h45 lorsque je me suis mise au lit.

Ne t'inquiète pas, je me reposerai avant ton arrivée! Promis...

Bonne semaine!

xxx