lundi 16 mars 2009

Un amour affranchi ... 8e partie


Laurence était déçu. Cela faisait deux semaines qu’il avait déposé l’enveloppe dans la boite aux lettres d’Éva. Depuis, il ne l’avait aperçue qu’une seule fois. Il en était à se demander si elle l’évitait.

Ce soir-là, sans trop savoir pourquoi, Laurence avait le cafard. C’était vendredi et il tournait en rond. Il avait bien tenté de rejoindre Paul, mais n’avait obtenu aucune réponse, ni chez lui, ni sur son cellulaire. Chez ses amis, il était tombé sur des boites vocales.

Laurence avait besoin de prendre l’air et de voir du monde. Une micro-brasserie avait récemment ouvert ses portes dans l’ancienne gare, à côté du terminus d’autobus. Il y était allé une fois ou deux et avait beaucoup aimé l’ambiance qui lui avait rappelé celle des pubs anglais. Il décida d’aller y faire un tour.

Après avoir poussé la porte du bistrot, Laurence balaya la place des yeux, espérant voir des visages familiers. Plusieurs tables étaient déjà occupées et il préféra s’installer au bar. Il était encore tôt; sans doute finirait-il par rencontrer des amis ou, du moins, des connaissances.

Il en était à sa première bière lorsque, derrière lui, une voix s’exclama:

-Laurence! Salut! Comment vas-tu? Tu es seul?

Avant même de se retourner, Laurence devina qui l’interpellait avec tant d’enthousiasme.

- Mélanie! Bonsoir. Je vais très bien, et toi?

- Tu es seul, réitéra Mélanie?

- Comme tu vois, oui.

- Alors, je peux t’accompagner?

Sans attendre la réponse, la jeune femme cala ses fesses sur le tabouret aux côtés de Laurence. Gentleman, il lui offrit une consommation et l’écouta lui raconter par le menu détail, la transaction qu’elle avait conclue au début de l’après-midi. Le temps passa et la blonde, très en verve, s’incrusta. Elle accepta un second verre, puis s’en commanda un troisième qui fut suivi d’un quatrième.

Il était minuit à peine lorsque Mélanie s’aperçut qu’elle commençait à être ivre. Il était temps pour elle de rentrer. Si l’alcool ralentissait ses réflexes, il n’avait aucun effet sur ses capacités stratégiques. Ainsi, malgré qu’elle se savait hors d’état de conduire, elle laissa croire à Laurence qu’elle comptait utiliser sa voiture pour retourner chez elle. Comme elle s’y attendait, il s’y opposa. Il ne lui restait plus qu’à lui demander de la raccompagner. Sur le moment, Laurence n’en eut pas vraiment envie. Il aurait souhaité que la soirée se déroule différemment. Il avait espéré, sans trop y croire, apercevoir Éva. Il ne savait trop que faire. D’un autre côté, Mélanie se faisait de plus en plus câline et ses intentions étaient sans équivoque. Soudain, Laurence chassa ses réticences; après tout, pourquoi refuserait-il les avances de cette femme qui, sans vraiment lui plaire, ne lui déplaisait pas? Si Éva ne daignait pas lui répondre, n’était-ce pas parce qu’elle ne ressentait aucun intérêt pour lui? Sinon, pourquoi ce silence? D’ailleurs, elle connaissait son identité; France le lui avait confié.

Alors, peut-être par dépit, peut-être pour assouvir ce besoin qui se faisait pressant, Laurence accepta de reconduire Mélanie chez elle. Pendant qu’ils se dirigeaient vers sa voiture, stationnée non loin, Laurence sentait le poids de la jeune femme qui s'accrochait à son bras. Il l’aida à monter puis, au moment où il s’apprêtait à démarrer, elle se pencha vers lui et posa ses lèvres sur celles de Laurence qui, le moment de surprise passé, ne fit rien pour la repousser.

Des lueurs de phares interrompirent leur baiser brûlant. Laurence tourna la tête; son pouls qui n’avait que peu réagi à l’étreinte de sa compagne, s’accéléra lorsqu’il reconnut la silhouette qui passait devant sa voiture. Comme au cinéma, le temps sembla s’arrêter pendant l’interminable seconde durant laquelle son regard croisa celui d’Éva. Impuissant, il la regarda se diriger au fond du stationnement puis monter dans une voiture et démarrer en trombe. Au bout de la rue, les feux arrière barbouillèrent la nuit de rouge, avant de disparaître.

Laurence irait reconduire Mélanie, il lui avait promis. Toutefois, le désir qui le tenaillait plus tôt avait disparu; il aiderait la jeune femme à rentrer chez elle, mais il refuserait son invitation. Il s’en retournerait chez lui, seul. Soudain, une immense frustration le submergea, quelque chose qui ressemblait à s’y méprendre à du chagrin. Les mains crispées sur le volant, Laurence se traita de crétin, de triple idiot et de bien d’autres qualificatifs disgracieux.

• • • • • • •

Lorsqu’elle descendit de l’autobus, Éva se sentait plus légère. Durant le trajet qui avait duré près d’une heure, elle s’était permis de rêver. Elle s’était demandé comment se passerait sa première rencontre avec Laurence. Elle tentait d’imaginer sa voix, la couleur de ses yeux.

En se dirigeant vers sa voiture qui était garée dans le stationnement réservé aux clients du terminus, elle chantonnait tout bas. La semaine qu’elle venait de passer avait été éprouvante et il lui tardait de se retrouver chez elle, de prendre Oscar dans ses bras et de se faire couler un bain chaud.

Perdue dans ses pensées, Éva sursauta. Une voiture venait derrière elle, l’obligeant à s’écarter pour la laisser passer. La lueur des phares balaya le pare-brise du véhicule devant lequel elle s’était arrêtée, éclairant brièvement un couple qui, à l’intérieur, échangeait un baiser. Juste au moment où elle allait poursuivre son chemin, le regard de l’homme intercepta le sien. Éva tressaillit. C’était lui. C’était Laurence. Ses yeux glissèrent vers la passagère et ce fut sans réelle surprise qu’elle reconnut Mélanie.

Terriblement déçue, le cœur cognant trop fort dans sa poitrine, Éva dut se maîtriser pour ne pas courir vers sa voiture. Les quinze minutes qu’il lui fallut pour se rendre chez elle lui parurent horriblement longues. Lorsqu’elle s’engagea sur le chemin qui menait à sa maison, elle stoppa et fit marche arrière. De son sac, elle sortit quelque chose, puis descendit de son véhicule et se dirigea vers le bac à déchets qui attendait d’être délivré de son contenu. La jeune femme fit basculer le couvercle et, les mains encore tremblantes, elle déchira la carte postale bleue et jeta les morceaux aux ordures, en même temps que ses rêves romantiques. Éva se promit qu’on ne la reprendrait plus à ce jeu.

• • • • • • •

Le destin a parfois un curieux sens de l’humour. À moins que ce ne soit, de dérision…

Le lendemain, alors que Laurence s’apprêtait à monter dans sa voiture, le vent se leva subitement. Soufflées par la brise, des feuilles mortes tourbillonnèrent et vinrent choir à ses pieds. Parmi les débris, quelque chose de bleu attira son attention. Par curiosité, à moins que ce ne soit par souci environnemental, Laurence se pencha et attrapa un petit bout de carton déchiré. En le retournant, il put lire: «je les espère… Éva ».

Laurence fut envahi d’une certitude. Celle d’avoir tout gâché.

-Tu es le roi des imbéciles! Murmura l’homme qui tenait entre ses doigts, un petit bout de rêve brisé.

8 commentaires:

Fitzsou, l'ange-aérien a dit…

Wow! Tu parles euh...tu écris!(???) J'ai déjà hâte de lire la suite...

Sally Fée a dit…

Ah oui? Bon, il va falloir que je trouve ce qui pourra arriver à ces deux personnages qui ne semblent pas vibrer au même diapason.

Laurence décidera t-il de fréquenter Mélanie?

Éva prendra t-elle le voile?

Mélanie découvrira t-elle qu'elle est en fait un homme?

Aucune idée...

A suirre...

:O)

Anonyme a dit…

La synchronicité n'est pas toujours au rendez-vous...

...ou quand ça n'est pas le temps !

** *

Sally Fée a dit…

@ Anonyme:

Malgré tout, "l'avenir n'est pas encore écrit". Enfin, c'est ce que me répétait un ami très cher.

** *

Michel a dit…

J'aime bien, c'est très agréable.
Reprendre une situation dans deux perspectives différentes. Ca me donne le gout d'une multitude de perspectives. J'en voulais plus, j'attendais celle qui l'embrassait.

Tu es inspirante.

Sally Fée a dit…

@ un gars:

Merci. Moi, c'est votre commentaire qui m'inspire!

Je me sers de mon blogue comme un laboratoire. Quel endroit Fée-noménal pour faire tout plein d'expériences et mettre en pratique mes leçons en création littéraire.

Merci encore...

Fitzsou, l'ange-aérien a dit…

...et moi j'attends encore impatiemment la suite... dis-donc, dans tes cours, il n'a jamais été question de ne pas faire "macérer" tes lecteurs trop longtemps dans l'"attente"?...

Sally Fée a dit…

Cher Ange,

Justement! C'est une tactique (page 304, module 2, leçon 4)!

;O)

Mais non! Je plaisante!!!

La 9e partie est écrite, rassure-toi. Mais tu me connais... je ne te laisserai y poser les yeux que lorsque je la jugerai présentable. Hum... ça signifie que ce ne sera pas avant demain,j'en ai bien peur.

Ta Fée-natique
xxx