La première chose que je remarquai fut la couleur de ses cheveux. Ses fines boucles rousses et décoiffées auréolaient sa petite tête ronde, lui donnant un air sauvage.
Malgré ses langes blancs, je devinai que l'enfant était une fille. On l'avait couchée dans un porte-bébé lequel avait été déposé sous l'escalier qui menait au restaurant, à l'étage. Ses parents furetaient dans la boutique, profitant vraisemblablement du sommeil de leur fillette.
En général, je craque davantage pour les bêtes que pour les petits des humains. Mais, cette enfant m'attirait comme un aimant et je m’approchai d’elle pour admirer sa chevelure de feu. Comme si elle avait senti ma présence, elle ouvrit les yeux et me fixa gravement.
Au milieu de son visage à la peau très claire, qu'on aurait dit translucide, ses yeux d'un bleu étrange semblaient aussi lumineux qu’un ciel d’été. J’étais littéralement captivée par ce regard à la couleur indicible. Alors, au lieu de me détourner, je me penchai au-dessus de l’enfant. Comme si elle m'attendait, la petite fille tendit vers moi ses deux bras minuscules. C'est à ce moment que je remarquai que le droit se terminait avant le coude, pauvre petit moignon inachevé.
Sans me soucier de ce qu'en penseraient ses parents, je pris la fillette tout contre moi et mes yeux s'attachèrent aux siens. Nous restâmes ainsi de longues minutes, silencieuses, immobiles.
Soudain, derrière moi, une voix murmura :
- Elle ne parle pas.
Par ces quelques mots, sa mère m'informait que je ne devais m'attendre à aucun babillage, à aucun mot car son enfant était autiste. Sans rien ajouter de plus, elle s'en retourna, me laissant avec sa fille qui, elle, ne me quittait pas des yeux.
De manière irréfléchie et sans me soucier d’inquiéter ses parents, je gravis l'escalier avec mon léger fardeau et j'allai me réfugier sur le palier, dans un angle étroit où, je le savais, personne n'allait jamais. Je m'assis à même le sol et m'appuyai le dos au mur. Les genoux fléchis, je déposai la petite fille sur moi, mes cuisses lui servant de dossier.
Alors, l'inimaginable se produisit… L'enfant ouvrit la bouche et prononça un premier mot, puis un deuxième. Ensuite, ce fut un flot de paroles qui franchirent ses lèvres, comme si le temps lui était compté. De ses confidences, je ne retins absolument rien, subjuguée que j’étais par l'étrange situation. J'étais bouleversée car je comprenais qu'elle m'avait choisie, entre tous, pour être le témoin de sa guérison.
Ses parents, des touristes de passage, vinrent me dire qu’il était temps pour eux de partir. Une vague de tristesse me submergea et j'eus du mal à me séparer de la fillette. Malgré le peu de temps passé ensemble, un lien indescriptible s’était noué. Solide et insolite…
De la fenêtre de la boutique, je regardai la voiture grise dans laquelle prenait place la petite famille. Soudain, comme mue par une force intérieure, je sortis et me précipitai vers le véhicule.
- Attendez! Criai-je.
Ses parents me dévisagèrent un instant, surpris.
- Ne bougez pas! Je reviens tout de suite!
Au pas de course, je retournai à la boutique. Sur une tablette, j'avais déposé des pierres fines et précieuses. Sans hésiter, je choisis celle qui était d'un bleu ciel intense, comme les yeux de l'enfant.
Je me précipitai à nouveau vers la voiture et, par la vitre baissée de la portière, je remis à la fillette, devenue entre temps une jeune femme au visage ingrat, la pierre bleue.
- C'est un souvenir afin que tu ne m'oublies pas. Lui dis-je.
Émue, elle saisit la pierre et la porta à son cœur en étouffant un sanglot. Ses mains nouées se tendirent une dernière fois vers moi en signe de reconnaissance et elle fit un effort pour me sourire à travers ses larmes. Je réalisai soudain que son bras droit n’avait plus aucun handicap.
Un vieil homme, que je devinai être son grand-père, était assis à côté de la jeune femme. Il se pencha un peu vers moi et me dit:
- La dernière fois que c’est arrivé, c'était en Chine.
Puis la voiture démarra, fit demi-tour et s'éloigna.
◊•◊•◊
Samedi matin, lorsque je m’éveillai, ce rêve étrange, au lieu de s’estomper, se fit tenace. Malgré que ce ne fut qu’un songe, je me souviendrai longtemps de cette rencontre fascinante et surtout, de ce regard de saphir brut.
3 commentaires:
C'est vraiment un beau rêve... enfin, merveilleusement conté...
Émouvant...
Depuis que Morphée a pour compagnon mon nouveau matelas, c'est incroyable les rêves que je fais!
Tenez, la nuit dernière, Jean-Pierre Ferland, version 30 ans plus jeune, était follement amoureux de moi. Son visage était d'une grande beauté et ses yeux, d'un vert incroyable.
:O)
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