Au début de la vingtaine, Frérot travailla à quelques reprises en forêt; sa tâche consistait à faire du débroussaillage. Il lui arriva de partir de longues semaines pendant lesquelles il dû dormir sous la tente, au milieu du bois. La plupart du temps des amis à lui étaient ses coéquipiers. Peu d'hommes auraient accepté un travail dans de telles conditions; cela laissait la place aux jeunes un peu marginaux, catégorie dont faisait partie mon petit frère à cette époque.
C'est ainsi que Frérot se retrouva, un automne, à plusieurs kilomètres au nord de Matagami à "faire de la ligne", terme utilisé pour désigner le travail de coupage de branches. Son ami C. faisait équipe avec lui.
Un soir, le boulot terminé, ils étaient assis tous deux devant le feu de camp qu'ils avaient allumé et s'apprêtaient à engloutir leur souper qui consistait, comme les jours précédents, en une tranche de Klic-Kam entre deux, de pain blanc, badigeonnées de moutarde. C'est alors qu'ils aperçurent non loin d'eux une gélinotte huppée, communément appelée "perdrix". L'instinct de chasseur de nos deux coupeurs de ligne refit surface instantanément! C. attrapa un gros caillou qui bordait le feu et le lança en direction du volatile qui le reçu en pleine tête, s'effondrant sans même avoir le temps de cacaber, de glousser ni de pirouitter!
Les deux comparses salivaient déjà en imaginant ce Bonasa umbellus empalé sur une branche au dessus des braises. Ils arrivaient presque à sentir le parfum de sa chair juteuse sous la peau rôtie et craquelante…
Frérot saisit le lagopède inerte par les pattes et le déposa dans la tente puis retourna rejoindre son ami qui, semble t-il, n'était pas peu fier de son exploit! Abattre une perdrix avec une pierre! Ils se promirent que le souper du lendemain serait un véritable festin…
Plus tard en soirée, pendant que C. éteignait le feu pour la nuit, Frérot regagna la tente et y alluma une petite lampe de camping. Ils s'apprêtaient à se glisser dans leur sac de couchage lorsqu'ils virent bouger la perdrix. Elle n'était pas morte mais seulement assommée!
"-Tords-lui le cou!" s'écria C. qui soudainement avait perdu de sa superbe… "-Euh, tords-lui le cou toi-même…" lui répondit Frérot, "… c'est ta perdrix!". Nos braves chasseurs ne pouvaient se résoudre à tenter une seconde fois de trucider la gélinotte huppée qui titubait dans la tente. Pas question non plus de la relâcher dans la nature car la pauvre bestiole avait la tête écorchée à l'endroit où l'avait atteint le projectile!
Contrit, C. ouvrit la trousse de premiers soins pendant que Frérot attrapait la perdrix qui, encore étourdie, ne lui offrit aucune résistance. Quelques minutes plus tard ils allèrent déposer le gallinacé, qui commençait à gigoter, sous les branches basses d'un gros sapin qui poussait non loin de leur campement.
Cette nuit là, nos deux compères eurent du mal à s'endormir tant ils riaient! Ils imaginaient la tête que ferait un éventuel chasseur découvrant sa proie, l'arrière de la tête badigeonné de teinture d'iode et recouvert d'un diachylon!
1 commentaire:
Sans avoir de boule de crystal, j'ai une bonne idée de ce qui est arrivé à cette gélinotte huppée... Aucun chasseur ne l'a trouvée (ils étaient si peu nombreux dans ce temps-là au nord de Matagami) mais elle a probablement fait le délice d'un lynx, d'un loup ou d'un renard, puisqu'elle n'avait plus la capacité de se défendre de tous ses prédateurs. La nature ne pardonne pas la faiblesse, la vulnérabilité.
Le véritable exploit aurait été, à mon avis, une fois qu'elle était blessée, de « l'euthanasier »...
Enregistrer un commentaire